Départ, tambour dans la nuit et pluie par l'en-dessous des choses
Bonjour à tout le monde,
Cette formule, courante au Cameroun lorsque l’on reçoit à son tour le “bâton de la parole”, permet de saluer les personnes présentes sans oubli d’aucune, mais peut-être aussi, c’est mon interprétation, d’étendre son auditoire aux confins des terres habitées. Je n’ai pas cependant, avec Au tournant du chemin, cette prétention démesurée, mais qui sait si notre dire, quand il offre au moins un peu d’utilité, n’est pas porté par quelque souffle inconnu au delà de l’espace restreint en lequel il se livre ?
Les “poètes” souvent, je préfère me nommer écriteur, écrivent un (ou plusieurs) roman, soit que déjà connus ils (c’est très masculin) profitent de leur audience, soit qu’étant inconnus ils espèrent en acquérir une, des plus grandes, ça va de soi. “Il faut bien être lu”, me disait un vieil ami, qui pour résoudre le “problème” a cessé d’écrire (mais ce n’est pas la vraie raison). Pierre Guyotat, de son côté, disait qu’il est plus difficile de trouver dix lecteurs attentifs que mille qui ne le sont pas. Si cette infolettre (suis amateur de québécisme) trouve cinq cents lecteurices (j’aime également les mots nouveaux qui bousculent), même allant venant entre attention soutenue et ponctuelle curiosité, j’abandonnerai définitivement l’idée de composer le roman que je suis incapable d’écrire. Les “poètes” d’ailleurs font rarement de bons romanciers. Hugo, qui aurait dit vouloir être Chateaubriand ou rien, est une exception, si “bon”, en ce domaine, signifie quelque chose. Me trouvant plus proche du “rien” que de Victor et François-René, et plus près de Virginia Woolf, Sylvia Plath ou Clarisse Lispector, oscillant d’un Serge daté à un Marcel intemporel, je ne désire au fond que partager simplement les quelques écrits qui me coutent un peu de sang, celui du poète, “bougie maladroite qui, je détourne Jean Cocteau parlant de son film, se promène dans la grande nuit du corps humain” (introspection et surréalisme mis à part, que d’ailleurs il niait).
Je vous attendrai donc poétiquement chaque mois au tournant et souhaite que vous fassiez de même, pour quelques extraits choisis, à lire ou à écouter, l’un ou l’autre enregistrement de l’atmosphère sonore de mon quartier à Yaoundé et ce qui surviendra, comme la fortune.
De mon lointain, un amical salut
Serge Marcel Roche
Jean Cocteau, Le sang d’un poète, 1930
Je repars au Lexique pour un nouveau voyage. Le premier fut entrepris en 2018 après l’écriture de Ma vie au village. Les mots étant un monde habité, où se forment en quelque sorte des rapports identiques à ceux qui lient et délient entre eux les êtres et les choses dans l’univers, allant aussi plus loin, plus avant que nous, j’explore à ma manière, en me gardant de les exploiter, ceux dont le nombre d’occurrences dans cet écrit, publié en 2023 par les éditions La rumeur libre, est significatif. Cet itinéraire pourra peut-être éveiller chez quelques lectrices et lecteurs le désir de trouver leur propre antidote contre la droitisation et la mortifère sédentarité du vocabulaire que l’on voudrait nous imposer. Les mots qui le composent font partie du langage ordinaire, celui qui forme l’expression de la plupart de nos pensées. Laissons-les nous conduire ailleurs que là où nous irions sans eux.
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